Il préparait son départ… en travaillant déjà pour le concurrent. Résultat : une condamnation pour faute lourde à près de 800 000 €

À l’attention des employeurs confrontés aux départs sensibles de collaborateurs stratégiques

Dans un arrêt remarqué du 5 juin 2025 (CA Poitiers, ch. soc., n° 22/01463), la Cour d’appel de Poitiers a condamné un ancien salarié de la SASU Baudet à indemniser son ex-employeur à hauteur de 794 833,21 euros pour avoir, alors qu’il était encore en fonction, préparé activement son départ vers un concurrent tout en transmettant des informations confidentielles ayant permis à ce concurrent d’emporter des marchés.

La société Baudet, spécialisée dans la fabrication de salles de bains préfabriquées, a démontré que l’un de ses cadres avait détourné à son profit et au profit de son futur employeur des données commerciales sensibles, causant une perte de chance importante de remporter plusieurs marchés.

Cet arrêt, bien que rendu dans une affaire inédite, présente un intérêt doctrinal majeur pour les employeurs en matière de :

  • Prévention du pillage commercial lors des départs de salariés ;
  • Utilisation des clauses de confidentialité ;
  • Cumul des actions (prud’hommes / tribunal de commerce) ;
  • Conditions d’indemnisation en cas de faute lourde.
Illustration d’un salarié préparant son départ vers une entreprise concurrente en transférant des données

Le salarié [Z], en poste depuis 2007, a entamé des négociations avec la société concurrente Polyecim dès septembre 2015, soit plus de 4 mois avant sa démission effective.

Or, la condition posée à son embauche était explicite : apporter un chiffre d’affaires d’au moins 500 000 euros. Dès lors, il ne s’agissait pas d’un simple départ professionnel, mais d’un projet structuré de détournement de clientèle, financé par l’entreprise concurrente.

Ce qui rend l’affaire particulièrement marquante est que le salarié a volontairement prolongé sa présence dans l’entreprise (préavis non écourté), dans le but de capter le maximum d’informations.

Pendant cette période, il a :

  • transmis des offres de prix, des plans, des coûts de fabrication ;
  • influencé le chiffrage des offres concurrentes ;
  • communiqué avec des clients stratégiques de Baudet pour les rediriger vers Polyecim.

L’arrêt rappelle opportunément que :

  • L’obligation de loyauté (art. L. 1222-1 C. trav.) interdit à un salarié d’agir contre les intérêts de son employeur tant que le contrat est en cours.
  • La clause de discrétion, qui figurait dans l’avenant au contrat de M. Z, impose le respect du secret professionnel même après la rupture du contrat.

En l’espèce, la Cour a retenu que :

  • le salarié avait agi dans le dos de son employeur ;
  • utilisé des données confidentielles pour construire des offres concurrentes ;
  • organisé activement la désertion de clients.

Le caractère intentionnel du dommage a conduit la Cour à retenir une faute lourde, condition nécessaire pour que l’employeur puisse engager la responsabilité pécuniaire du salarié.

Rappel : La faute lourde suppose une intention de nuire, ce qui a été caractérisé par la dissimulation, la duplicité et la participation au développement d’offres concurrentes depuis le poste de travail du salarié.

La Cour a retenu que le préjudice subi par la société Baudet devait être calculé selon la marge brute non réalisée, et non la marge nette, considérant que les charges fixes de l’entreprise avaient été supportées sans produire les revenus attendus.

Elle a également reconnu une perte de chance partielle (60 % ou 10 % selon les marchés), fondée sur :

  • La solidité des chances initiales de remporter les marchés ;
  • L’impact des informations confidentielles détournées.
Marché concernéPart de perte de chanceMontant retenu
Projet « [4] »60 %389 130 €
AccorHôtels / F160 %276 141 €
Openpartners10 %32 989 €
Cogedim10 %75 101 €
Cougnaud10 %21 470 €
Total 794 833 €

La condamnation a été prononcée solidairement avec la société Polyecim, ce qui signifie que l’employeur dispose désormais de deux débiteurs potentiels pour le même préjudice. La Cour précise que, tant que le préjudice n’est pas effectivement réparé, le créancier peut agir contre l’un ou l’autre des auteurs.

1. Renforcer les clauses contractuelles stratégiques

  • Veillez à intégrer une clause de confidentialité formulée clairement et applicable après le contrat.
  • Prévoyez, le cas échéant, une clause de non-concurrence bien proportionnée et indemnisée.

2. Réagir immédiatement à tout soupçon de déloyauté

  • Organisez un audit interne si vous suspectez une fuite d’informations.
  • Envisagez des mesures conservatoires (ordonnances sur requête, constats d’huissier).
  • Si nécessaire, saisissez parallèlement le conseil de prud’hommes (pour les manquements contractuels) et le tribunal de commerce (pour la concurrence déloyale de la société tierce).

 3. Quantifier le préjudice avec rigueur

  • Préparez dès le départ une méthodologie de calcul du préjudice fondée sur les marges brutes.
  • Documentez la perte de chance en fonction des marchés visés, des clients perdus et des projets sabotés.

L’affaire Baudet c. Z illustre un cas typique, mais extrême de ce que certains employeurs subissent lorsqu’un cadre stratégique déloyal prépare son départ en siphonnant des données.

Elle constitue une alerte pour toutes les entreprises exposées à des risques concurrentiels internes. Mais surtout, elle montre que, grâce à une réaction judiciaire rigoureuse et à des outils juridiques bien maîtrisés, l’employeur peut obtenir réparation, même après coup.

Vous êtes victimes de concurrence déloyale ou d’agissements déloyaux : détournement de clientèle, non respect ou absence de clause de non concurrence, dénigrement de votre entreprise.