Catégorie : Concurrence Déloyale

  • Le droit du travail, nouvel instrument de lutte contre la concurrence déloyale ?

    Traditionnellement, la lutte contre la concurrence déloyale relève du droit commercial et de la responsabilité civile délictuelle entre entreprises concurrentes. Toutefois, une tendance jurisprudentielle récente semble révéler une émergence du droit du travail comme vecteur autonome de protection contre des comportements déloyaux, non seulement pendant l’exécution du contrat de travail, mais aussi après sa rupture.

    Le recours à la notion de faute lourde, au sens strict de l’intention de nuire à l’employeur, connaît un regain d’intérêt, notamment pour engager la responsabilité pécuniaire du salarié fautif hors rupture du contrat de travail. Plusieurs décisions illustrent cette dynamique, consacrant une lecture renouvelée de l’obligation de loyauté, parfois prolongée par des clauses de confidentialité post-contractuelles.

    Droit du travail : nouvelle arme contre la concurrence déloyale

    La jurisprudence constante rappelle que seule la faute lourde, caractérisée par une intention de nuire, permet d’engager la responsabilité financière du salarié (Cass. soc., 25 janv. 2017, n° 14-26.071).

    Ce principe, longtemps cantonné à des cas exceptionnels, semble connaître aujourd’hui un élargissement d’application.

    Dans un arrêt du 21 avril 2022 (n° 20-22.773), la Cour de cassation avait validé la condamnation d’un salarié à indemniser son ancien employeur, alors même que les faits (détournement de clientèle, perception indue de commissions) avaient été découverts postérieurement à la rupture du contrat. La décision de la haute juridiction pouvait s’entendre comme consacrant la possibilité de poursuites fondées sur la faute lourde indépendamment de toute contestation de la rupture du contrat de travail.

    Une décision de la Cour de cassation du 26 juin 2024 (n° 22-10.709) confirme également que

    • La faute lourde peut être qualifiée indépendamment de la rupture du contrat ;
    • Les faits fautifs postérieurs à la rupture, mais liés au contrat (notamment par la violation d’une clause d’exclusivité ou d’obligations de loyauté ou de confidentialité), sont susceptibles d’ouvrir une action autonome en responsabilité.

    Cet arrêt confirme bien que le droit du travail peut être utilisé comme vecteur de lutte contre des comportements déloyaux, y compris après la fin du contrat, à travers l’action autonome en faute lourde.

    Les juridictions prud’homales semblent aujourd’hui se saisir activement de la possibilité d’appréhender, sous l’angle du contrat de travail, des faits traditionnellement qualifiés de concurrence déloyale relevant du contentieux commercial. Cette tendance participe d’une extension de leur compétence matérielle, dès lors que les agissements reprochés, même postérieurs à la rupture du contrat, présentent un lien direct avec l’exécution de la relation salariale.

    L’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 5 juin 2025 (n° 22/01463) (déjà commenté sur ce site) illustre parfaitement cette orientation. Dans cette affaire, un ancien salarié est condamné à verser plus de 794 000 euros de dommages-intérêts à son ex-employeur, pour avoir transmis des informations confidentielles à un concurrent, facilitant ainsi le détournement de plusieurs marchés.

    Saisie d’une exception d’incompétence, la cour rappelle avec force que le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître des différends nés à l’occasion de l’exécution du contrat de travail, y compris lorsque les faits sont qualifiés de concurrence déloyale. Elle motive sa décision en indiquant que les faits en cause ont été « commis pendant l’exécution du contrat de travail ou postérieurement, mais directement liés à ce contrat ».

    Il en résulte une forme de justiciabilité prud’homale autonome, qui subsiste même en présence de procédures commerciales parallèles, dès lors que les obligations contractuelles du salarié (loyauté, confidentialité, fidélité) constituent le fondement juridique de l’action.

    Cette jurisprudence traduit ainsi une volonté claire des juridictions du fond de s’approprier le contentieux de la concurrence déloyale lorsqu’il trouve sa source dans la relation de travail, et d’en faire un objet pleinement intégré au champ du droit social.

    Le point commun de ces décisions réside dans la construction d’une action spécifique fondée sur la faute lourde, permettant à l’employeur d’agir non pas pour contester la rupture, mais pour obtenir réparation d’un préjudice économique lié à des comportements déloyaux.

    Ce contentieux, jadis marginal, tend à se normaliser. Il consacre la primauté du contrat de travail comme socle juridique de l’obligation de loyauté, élargie à des obligations de discrétion, voire de non-concurrence implicite, même en l’absence de clause formelle.

    Cette dynamique conforte le rôle du droit du travail dans la prévention et la répression de pratiques concurrentielles déloyales, ce qui pourrait encourager les entreprises à internaliser la lutte contre la concurrence déloyale dans leur politique RH, via des clauses de confidentialité robustes, des actions préventives, et le recours stratégique au contentieux prud’homal.

    L’attractivité croissante du fondement prud’homal pour sanctionner des comportements de concurrence déloyale trouve également une explication dans le niveau substantiel des condamnations financières prononcées à l’encontre des salariés fautifs.

    L’arrêt rendu par la cour d’appel de Poitiers le 5 juin 2025 est particulièrement illustratif : l’ancien salarié a été condamné à verser 794 833,21 euros à son employeur en réparation du préjudice subi du fait de la transmission d’informations confidentielles à un concurrent

    Ce montant, équivalent à la perte de marge escomptée sur des marchés détournés, démontre que l’action en responsabilité pour faute lourde ne se limite pas à un enjeu symbolique, mais constitue un levier d’indemnisation économique majeur.

    De même, dans l’affaire Cass. soc., 21 avril 2022, la Cour de cassation valide une condamnation dépassant 1,3 million d’euros à l’encontre d’un salarié ayant perçu des commissions indues et organisé un détournement de clientèle, en estimant que les juges du fond avaient souverainement caractérisé l’intention de nuire

    Ces montants, bien supérieurs aux barèmes habituels d’indemnisation en matière prud’homale, traduisent un glissement du contentieux vers une logique indemnitaire renforcée, appuyée sur une évaluation chiffrée des pertes commerciales subies par l’employeur. Ce phénomène conforte le recours à l’action prud’homale comme voie stratégique pour obtenir une réparation intégrale, y compris dans des hypothèses qui auraient pu être traitées devant les juridictions commerciales ou civiles.

    Ainsi, le droit du travail tend à s’imposer comme un instrument complémentaire, voire alternatif, au droit commercial pour sanctionner les pratiques déloyales affectant l’entreprise, lorsque l’auteur est un ancien salarié.

    La notion de faute lourde, autrefois marginale, se révèle être un fondement opérant pour engager la responsabilité personnelle du salarié fautif et obtenir réparation d’un préjudice concurrentiel.

    Surtout, il convient de souligner que la reconnaissance d’une faute lourde dans ce contexte n’a pas pour effet de remettre en cause la validité de la rupture du contrat de travail : l’action engagée ne poursuit pas un objectif de réintégration ou de requalification, mais vise uniquement à obtenir réparation d’un préjudice économique subi par l’employeur.

    On assiste donc à une forme d’émergence du droit du travail comme rempart contre la concurrence déloyale, incarnée par une jurisprudence de plus en plus structurée, qui mérite d’être consolidée par les praticiens du droit.

  • Il préparait son départ… en travaillant déjà pour le concurrent. Résultat : une condamnation pour faute lourde à près de 800 000 €

    À l’attention des employeurs confrontés aux départs sensibles de collaborateurs stratégiques

    Dans un arrêt remarqué du 5 juin 2025 (CA Poitiers, ch. soc., n° 22/01463), la Cour d’appel de Poitiers a condamné un ancien salarié de la SASU Baudet à indemniser son ex-employeur à hauteur de 794 833,21 euros pour avoir, alors qu’il était encore en fonction, préparé activement son départ vers un concurrent tout en transmettant des informations confidentielles ayant permis à ce concurrent d’emporter des marchés.

    La société Baudet, spécialisée dans la fabrication de salles de bains préfabriquées, a démontré que l’un de ses cadres avait détourné à son profit et au profit de son futur employeur des données commerciales sensibles, causant une perte de chance importante de remporter plusieurs marchés.

    Cet arrêt, bien que rendu dans une affaire inédite, présente un intérêt doctrinal majeur pour les employeurs en matière de :

    • Prévention du pillage commercial lors des départs de salariés ;
    • Utilisation des clauses de confidentialité ;
    • Cumul des actions (prud’hommes / tribunal de commerce) ;
    • Conditions d’indemnisation en cas de faute lourde.
    Illustration d’un salarié préparant son départ vers une entreprise concurrente en transférant des données

    Le salarié [Z], en poste depuis 2007, a entamé des négociations avec la société concurrente Polyecim dès septembre 2015, soit plus de 4 mois avant sa démission effective.

    Or, la condition posée à son embauche était explicite : apporter un chiffre d’affaires d’au moins 500 000 euros. Dès lors, il ne s’agissait pas d’un simple départ professionnel, mais d’un projet structuré de détournement de clientèle, financé par l’entreprise concurrente.

    Ce qui rend l’affaire particulièrement marquante est que le salarié a volontairement prolongé sa présence dans l’entreprise (préavis non écourté), dans le but de capter le maximum d’informations.

    Pendant cette période, il a :

    • transmis des offres de prix, des plans, des coûts de fabrication ;
    • influencé le chiffrage des offres concurrentes ;
    • communiqué avec des clients stratégiques de Baudet pour les rediriger vers Polyecim.

    L’arrêt rappelle opportunément que :

    • L’obligation de loyauté (art. L. 1222-1 C. trav.) interdit à un salarié d’agir contre les intérêts de son employeur tant que le contrat est en cours.
    • La clause de discrétion, qui figurait dans l’avenant au contrat de M. Z, impose le respect du secret professionnel même après la rupture du contrat.

    En l’espèce, la Cour a retenu que :

    • le salarié avait agi dans le dos de son employeur ;
    • utilisé des données confidentielles pour construire des offres concurrentes ;
    • organisé activement la désertion de clients.

    Le caractère intentionnel du dommage a conduit la Cour à retenir une faute lourde, condition nécessaire pour que l’employeur puisse engager la responsabilité pécuniaire du salarié.

    Rappel : La faute lourde suppose une intention de nuire, ce qui a été caractérisé par la dissimulation, la duplicité et la participation au développement d’offres concurrentes depuis le poste de travail du salarié.

    La Cour a retenu que le préjudice subi par la société Baudet devait être calculé selon la marge brute non réalisée, et non la marge nette, considérant que les charges fixes de l’entreprise avaient été supportées sans produire les revenus attendus.

    Elle a également reconnu une perte de chance partielle (60 % ou 10 % selon les marchés), fondée sur :

    • La solidité des chances initiales de remporter les marchés ;
    • L’impact des informations confidentielles détournées.
    Marché concernéPart de perte de chanceMontant retenu
    Projet « [4] »60 %389 130 €
    AccorHôtels / F160 %276 141 €
    Openpartners10 %32 989 €
    Cogedim10 %75 101 €
    Cougnaud10 %21 470 €
    Total 794 833 €

    La condamnation a été prononcée solidairement avec la société Polyecim, ce qui signifie que l’employeur dispose désormais de deux débiteurs potentiels pour le même préjudice. La Cour précise que, tant que le préjudice n’est pas effectivement réparé, le créancier peut agir contre l’un ou l’autre des auteurs.

    1. Renforcer les clauses contractuelles stratégiques

    • Veillez à intégrer une clause de confidentialité formulée clairement et applicable après le contrat.
    • Prévoyez, le cas échéant, une clause de non-concurrence bien proportionnée et indemnisée.

    2. Réagir immédiatement à tout soupçon de déloyauté

    • Organisez un audit interne si vous suspectez une fuite d’informations.
    • Envisagez des mesures conservatoires (ordonnances sur requête, constats d’huissier).
    • Si nécessaire, saisissez parallèlement le conseil de prud’hommes (pour les manquements contractuels) et le tribunal de commerce (pour la concurrence déloyale de la société tierce).

     3. Quantifier le préjudice avec rigueur

    • Préparez dès le départ une méthodologie de calcul du préjudice fondée sur les marges brutes.
    • Documentez la perte de chance en fonction des marchés visés, des clients perdus et des projets sabotés.

    L’affaire Baudet c. Z illustre un cas typique, mais extrême de ce que certains employeurs subissent lorsqu’un cadre stratégique déloyal prépare son départ en siphonnant des données.

    Elle constitue une alerte pour toutes les entreprises exposées à des risques concurrentiels internes. Mais surtout, elle montre que, grâce à une réaction judiciaire rigoureuse et à des outils juridiques bien maîtrisés, l’employeur peut obtenir réparation, même après coup.

  • Concurrence déloyale : les manquements aux règles applicables par vos concurrents peuvent être judiciairement sanctionnés

    Arrêt commenté : Cass. com., 25 juin 2025, n° 23-22.430, publié au Bulletin

    Dans un arrêt publié au Bulletin, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle avec force qu’un manquement aux obligations légales ou réglementaires peut constituer, en soi, un acte de concurrence déloyale, dès lors qu’il permet à son auteur de bénéficier d’un avantage concurrentiel indu au détriment des entreprises respectueuses des règles applicables.

    Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante mais rarement aussi claire dans son articulation entre non-conformité juridique et distorsion de concurrence. Il constitue ainsi un appui solide pour les entreprises victimes de comportements concurrentiels fondés sur le non-respect du droit.

    Illustration d’un conflit entre un chauffeur de taxi et un chauffeur VTC, symbolisant la concurrence déloyale dans le secteur du transport

    Dans cette affaire, la société Transopco (plateforme de mise en relation entre chauffeurs VTC et clients) avait été assignée par son concurrent, la société Viacab, au motif qu’elle méconnaissait :

    • d’une part, la réglementation du transport de personnes, notamment l’interdiction de la maraude électronique (article L. 3120-2, III, 1° du Code des transports),
    • et d’autre part, les obligations issues du droit du travail, en dissimulant une relation de subordination juridique permanente avec les chauffeurs présentés comme indépendants.

    La cour d’appel de Paris, puis la Cour de cassation, ont retenu que :

    • en indiquant au client, avant la réservation, la localisation et la disponibilité immédiate des véhicules alentour a plateforme violait la réglementation applicable aux VTC, s’affranchissant ainsi des contraintes auxquelles ses concurrents étaient soumis (en particulier les taxis),
    • en imposant aux chauffeurs des directives, un contrôle par géolocalisation, un système de notation et un risque de résiliation en cas d’écart, la société Transopco se comportait comme un véritable employeur, méconnaissant ainsi les règles protectrices du droit du travail.

    Ces deux manquements ont été qualifiés de pratiques déloyales, car ils permettaient à Transopco de proposer une offre moins coûteuse, sans supporter les charges sociales ou les contraintes réglementaires inhérentes à l’activité de transport régulée.

    Au paragraphe 6 de l’arrêt, la Cour de cassation énonce :

    « Constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur. »

    Cette formulation est particulièrement nette. Elle consacre l’idée que :

    • l’inégalité devant la norme, si elle produit un effet économique défavorable pour un opérateur respectueux du droit, peut fonder une responsabilité civile pour faute,
    • aucun avantage concurrentiel ne peut être légitimement obtenu par la transgression de la loi.

    Il s’agit d’un renforcement du principe de loyauté dans les relations commerciales, qui ouvre la voie à des contentieux offensifs pour faire sanctionner des pratiques concurrentielles biaisées.

    Dans un environnement économique concurrentiel, cette décision vous donne une base juridique claire pour contester les pratiques de vos concurrents lorsque :

    • Ils emploient abusivement des indépendants pour éviter les charges liées au salariat (requalification possible en lien de subordination) ;
    • Ils contournent des réglementations techniques, sectorielles ou sociales, leur permettant de proposer des tarifs anormalement bas ou des conditions commerciales déséquilibrées ;
    • Ils se livrent à des pratiques prohibées (non-respect des normes d’hygiène, de sécurité, de certification, de publicité, etc.).

    L’action en concurrence déloyale est alors un levier de régulation du marché, permettant :

    • d’obtenir la cessation immédiate des pratiques illicites (par voie de référé ou au fond),
    • de réparer le préjudice subi en lien avec cette distorsion, qu’il s’agisse d’une perte de chiffre d’affaires, d’une atteinte à votre image ou d’un déséquilibre concurrentiel.

    La concurrence déloyale ne résulte pas uniquement d’actes frauduleux. Elle naît aussi du non-respect du droit par ceux qui en tirent un avantage.

    L’arrêt du 25 juin 2025 vous donne les fondements pour agir efficacement contre de telles pratiques. Dans un contexte où la conformité est un investissement, elle doit aussi être un atout juridique et économique face à ceux qui cherchent à y échapper.

  • L’appel du 18 juin : la messagerie professionnelle entre en résistance (juridique)

    Depuis plusieurs mois, sur le front discret mais stratégique du RGPD, les employeurs tenaient leurs positions tant bien que mal face à une nouvelle offensive : les demandes d’accès aux courriels professionnels formulées par d’anciens salariés.

    Au sein des directions RH et juridiques, on espérait un renfort décisif de la Cour de cassation, un arrêt salvateur qui viendrait rappeler que la messagerie professionnelle est d’abord un outil de travail, propriété de l’employeur.

    Mais le 18 juin 2025 — date symbolique, s’il en est — la Haute juridiction a pris position : le salarié peut, au titre du RGPD, obtenir l’accès à l’intégralité de ses données personnelles, y compris celles contenues dans sa boîte mail professionnelle. Une décision qui, sans renverser le droit existant en apparence, vient bouleverser les équilibres pratiques, et impose aux entreprises de se préparer à ce nouveau front contentieux.

    Pour autant, tout n’est pas perdu. L’enjeu, désormais, n’est pas tant de se défendre a posteriori que de rendre ces demandes inutiles en amont.

    Autrement dit : la stratégie de défense la plus efficace est d’enlever tout intérêt à l’offensive. À condition, bien sûr, que l’entreprise ait su verrouiller ses éventuels points faibles avant que le contentieux ne commence.

    Charles de Gaulle devant un ordinateur moderne symbolisant l’appel du 18 juin à propos de la clause de non-concurrence et du RGPD
    1. Les courriels professionnels sont des données à caractère personnel
      En application de l’article 4 du RGPD, la Haute juridiction considère que tout message émis ou reçu par un salarié via la messagerie professionnelle, dès lors qu’il permet de l’identifier directement ou indirectement, constitue une donnée à caractère personnel. Cette approche est conforme à la définition large du texte européen et rejoint une jurisprudence antérieure concernant les adresses IP.
    2. Le droit d’accès inclut le contenu et les métadonnées des courriels
      En se fondant sur l’article 15 du RGPD, la Cour impose à l’employeur de fournir non seulement les métadonnées des courriels (dates, heures, destinataires) mais également leur contenu. Elle adopte une position plus large que celle exprimée par la CNIL en janvier 2022, qui semblait limiter ce droit au contenu contenant des données personnelles.
    3. Un refus de communication non justifié est fautif et peut ouvrir droit à réparation
      En l’espèce, l’employeur s’était contenté de transmettre des documents administratifs (bulletins de paie, attestations, etc.), sans donner suite à la demande du salarié concernant ses courriels. La Cour juge ce comportement fautif, en l’absence de justification valable, et valide l’octroi de dommages-intérêts pour violation du RGPD.
    4. La seule limite admise : la protection des droits et libertés d’autrui
      La Cour rappelle que l’article 15 §4 du RGPD autorise à restreindre ce droit si la communication porte atteinte aux droits de tiers (vie privée, secret des affaires, correspondances, etc.). Néanmoins, cette exception suppose une justification précise, circonstanciée et documentée, ce qui faisait défaut en l’espèce.

    A/ Les solutions classiques issues du droit du RGPD

    1. Anticiper les demandes d’accès aux courriels
      Il est conseillé de mettre en place une procédure claire pour savoir comment retrouver les courriels d’un salarié et comment les lui transmettre en cas de demande. Il faut pouvoir les identifier, les extraire et les transmettre.
    2. Prévoir une solution en cas de courriels sensibles
      Si certains messages contiennent des informations confidentielles (concernant d’autres salariés ou des secrets d’affaires), l’employeur peut :
      • Anonymiser le contenu avant transmission ;
      • Ou justifier par écrit son refus de transmettre certains messages.
    3. Mettre en conformité avec le RGPD les pratiques internes (RH, informatique, juridique)

    Concrètement, cela suppose :

    • De tenir à jour un registre des traitements incluant ceux relatifs aux emails ;
    • De prévoir une durée de conservation limitée des messages (sauf obligation légale ou intérêt légitime) ;
    • D’établir une politique claire d’archivage des courriels, en distinguant les règles applicables aux messages liés à l’exécution du contrat de travail, aux échanges commerciaux, aux échanges RH, etc., en définissant pour chacun des durées de conservation compatibles avec le principe de minimisation du RGPD ;
    • D’établir une procédure interne de notification des violations (ex. : accès non autorisé à une boîte mail) ;
    • D’avoir bien désigné un DPO

    B/ Les leviers préventifs issus du droit du travail

    La meilleure ligne de défense reste encore celle qui rend l’offensive inutile.

    En réalité, dans la grande majorité des cas, ce que cherche le salarié, c’est à démontrer un manquement de l’employeur aux règles relatives à la durée du travail.

    L’objectif est souvent :

    • Soit de faire tomber un forfait jours, en démontrant un défaut de suivi par l’employeur, avec rappel d’heures ou dommages-intérêts.
    • Soit de réclamer des heures supplémentaires non rémunérées, en s’appuyant sur l’envoi de mails à des horaires inhabituels ;

    C’est donc là que réside la vraie menace récurrente. Et elle peut être efficacement neutralisée par une action simple mais stratégique : réaliser un audit de conformité sur la durée du travail, en vérifiant notamment :

    • La validité des conventions de forfait ;
    • La réalité du suivi de la charge de travail et du respect des temps de repos ;
    • La traçabilité des échanges hors horaires normaux.

    Un employeur en conformité sur la durée du travail sécurise une grande partie de son contentieux relatif à une demande d’accès aux courriels.

    L’arrêt du 18 juin 2025 ne crée pas un nouveau droit, mais il confirme que les anciens salariés peuvent s’en saisir de manière redoutablement stratégique. Sous couvert de RGPD, la messagerie professionnelle devient un terrain d’enquête indirect pour démontrer des irrégularités bien plus classiques — et potentiellement coûteuses — en droit du travail.

    Dans ce nouveau contexte, le réflexe défensif ne suffit plus. Il faut auditer, documenter, anticiper.
    Un employeur bien préparé, à jour dans ses pratiques de gestion du temps de travail, avec une politique RGPD rigoureuse, désarme une grande partie du risque contentieux.

  • Clauses de non-concurrence : quand respecter le contrat ne suffit pas à sécuriser l’employeur

    Pour un employeur de bonne foi, soucieux d’appliquer à la lettre les dispositions prévues au contrat de travail, il est naturel de penser qu’un strict respect des clauses contractuelles suffit à éviter tout contentieux.

    L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 29 avril 2025 vient pourtant rappeler une vérité brutale : respecter le contrat ne garantit pas la sécurité juridique. En matière de clause de non-concurrence, la jurisprudence impose des exigences qui entrent parfois en contradiction avec les stipulations contractuelles.

    Dans cette affaire, un salarié licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement est informé, 12 jours après la notification de son licenciement, de la levée de sa clause de non-concurrence dans son certificat de travail. Ce délai était pourtant expressément prévu dans le contrat : 20 jours à compter de la notification de la rupture.

    Mais pour la Cour de cassation, ce respect contractuel est insuffisant. La clause devait être levée au plus tard à la date du départ effectif du salarié, soit ici le jour de la notification du licenciement, l’inaptitude rendant le préavis inexécutable. La renonciation, intervenue postérieurement, est donc inopérante.

    La Cour rappelle que, lorsque le contrat prend fin sans exécution du préavis (notamment en cas d’inaptitude), le salarié doit immédiatement connaître l’étendue de sa liberté professionnelle. Par conséquent, même si le contrat prévoit un délai de renonciation à la clause, celui-ci ne peut aller au-delà de la date de départ effectif.

    Ainsi, le contrat est neutralisé sur ce point s’il donne à l’employeur un délai plus long.

    Quand la renonciation à la clause de non-concurrence est jugée tardive ou invalide, le salarié perçoit la contrepartie financière dès lors qu’il respecte l’interdiction de concurrence, et ce, peu importe l’intention réelle de l’employeur. Et ce droit est automatique, même si l’employeur pensait avoir valablement levé la clause.

    Prenons un cas concret :

    Un salarié perçoit 10 000 € brut par mois. Son contrat prévoit une clause de non-concurrence indemnisée à hauteur de 40 % pendant 24 mois.
    Si la clause n’est pas valablement levée, l’employeur devra verser :
    4 000 € x 24 mois = 96 000 , sans contrepartie productive.

    Un coût exorbitant dans certaines fonctions stratégiques (commercial, direction, recherche) — d’autant plus injuste pour un employeur persuadé d’avoir respecté le contrat.

    Dans le cas d’espèce, heureusement pour l’employeur, l’impact financier a été limité : la condamnation s’est élevée à 9 000 , en raison d’un niveau de salaire modeste et d’un taux de contrepartie relativement faible.

    Cette décision illustre un paradoxe de plus en plus fréquent dans les relations de travail :

    Respecter le contrat n’est pas toujours conforme au droit.

    L’employeur avait ici respecté à la lettre le délai contractuel de 20 jours pour renoncer à la clause de non-concurrence. Il avait même agi en bon ordre, dans un document officiel (le certificat de travail). Pourtant, il est sanctionné.

    Pourquoi ? Parce que la jurisprudence considère qu’un salarié doit pouvoir, dès la fin de la relation de travail, savoir s’il est libre de travailler ailleurs. Le droit du travail impose donc une sécurité immédiate pour le salarié, qui prime sur la sécurité contractuelle de l’employeur.

    1. Revoir les contrats en vigueur

    Audit juridique complet des clauses de non-concurrence :

    • Délai de renonciation
    • Modalités de notification
    • Période d’application
    • Nature des fonctions concernées

    Cet audit doit permettre de détecter les clauses à risque (délais trop longs, absence de précision sur la date de renonciation, etc.).

    2. Former les équipes RH

    Mise en place d’un protocole clair par type de rupture (démission, licenciement, inaptitude, rupture conventionnelle) :

    • Quand et comment notifier la renonciation ?
    • Quels documents doivent l’acter ?
    • Quels délais respecter dans chaque configuration ?

    Une formation ciblée des équipes RH est essentielle pour éviter les erreurs d’exécution et sécuriser les procédures de sortie.

    3. Anticiper la renonciation

    Cela évite toute incertitude et neutralise d’emblée le risque d’indemnisation.

    Il n’y a rien de pire, pour un employeur, que de découvrir — une fois la rupture actée avec un salarié stratégique — qu’une simple erreur de calendrier sur une clause de non-concurrence peut déclencher une condamnation financière majeure. Quelques jours de décalage, parfois sur un simple certificat de travail, suffisent à faire basculer un dossier.

    L’arrêt du 29 avril 2025 doit être perçu comme un rappel important : le contrat ne protège pas automatiquement l’employeur si la pratique n’est pas alignée sur la jurisprudence.

  • La divulgation fautive de données confidentielles par le salarié : une atteinte justifiant une preuve obtenue de manière déloyale

    Un salarié a divulgué à une entreprise tierce de données à caractère hautement confidentiel, à la fois :

    • Techniques : probablement relatives à des procédés industriels ou à des produits spécifiques de l’entreprise ;
    • Commerciales : relevant de la stratégie, des prix, des partenaires ou clients.

    Un employeur a produit en justice la retranscription d’enregistrements vidéo réalisés à l’insu d’un salarié dans les locaux de l’entreprise.

    Ces enregistrements visaient à prouver la divulgation de données confidentielles (techniques et commerciales) à l’entreprise tierce.

    Ce grief constitue un manquement grave à l’obligation de loyauté, d’autant plus que le salarié occupait un poste à haut niveau de responsabilité (directeur régional), et donc avait accès à des informations sensibles.

    1. Principe posé :
      • La retranscription d’enregistrements réalisés à l’insu du salarié constitue :
        • Un procédé déloyal ;
        • Une atteinte à la vie privée du salarié ;
        • Une exploitation de données personnelles.
    2. Exception admise – Appréciation concrète :
      • La Cour d’appel a eu raison de juger que :
        • Les enregistrements portaient uniquement sur l’activité professionnelle du salarié ;
        • Aucun stratagème ou provocation à la faute n’avait été mis en œuvre ;
        • La preuve était indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
        • La production était proportionnée au but poursuivi : la protection de la confidentialité des affaires de l’employeur.

    La Cour de cassation valide l’appréciation de la Cour d’appel et confirme qu’une preuve obtenue de manière déloyale peut exceptionnellement être recevable si :

    • Elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;
    • Et si elle est proportionnée au but poursuivi (ici, la protection des intérêts légitimes de l’employeur).
    • Il légitime la recherche de preuves dans un contexte de dissimulation volontaire du salarié ;
    • Il reconnaît la valeur supérieure accordée à la protection des intérêts économiques légitimes de l’entreprise dans certaines situations ;
    • Il incite à documenter sérieusement les fautes graves, en veillant au respect du principe de proportionnalité et à l’absence de provocation.

    Référence : Cass. soc. 26 février 2025, n°22-24.474 F-D